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"J'ai traversé l'Antarctique": 39 kilos à l'arrivée et un record du monde

Article édité et mis en une par la rédaction

La rédaction a eu un coup de coeur pour cet article et ses infos sont vérifiées. A lire avec l'assentiment de L'Express.
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"Le corps épuisé autant qu'il peut l'être, a besoin de ces repères habituels pour contourner les derniers obstacles et contenir l'émotion qui l'envahit. Un corps amaigri -je pèse alors seulement 39 kilos."

"Le corps épuisé autant qu'il peut l'être, a besoin de ces repères habituels pour contourner les derniers obstacles et contenir l'émotion qui l'envahit. Un corps amaigri -je pèse alors seulement 39 kilos."

Stéphanie et Jérémie Gicquel

Stéphanie et son mari sont passionnés par les pôles, continents extrêmes. Grands sportifs, ils se sont lancés dans une aventure on ne peut plus risquée: traverser l'Antarctique à ski via le pôle Sud. Dans ce dernier épisode, ils touchent enfin leur but, très affaiblis.

74ème jour. 6h du matin. Le réveil sonne après quatre heures de sommeil. La fatigue, évidemment, n'a pas eu le temps de s'en aller, mais je suis immédiatement animée par une énergie nouvelle. Tout ce que je fais ce matin ne se répétera plus. Les relais s'enchaînent pour assurer la navigation, les pauses sont toujours aussi courtes et la vigilance de rigueur.  

Episode 1 >> La longue et difficile préparation 

Episode 2 >> Du doux rêve à la dure réalité du terrain 

Episode 3>> Souffrance, faim et soif à l'approche du pôle Sud

Le corps épuisé autant qu'il peut l'être, a besoin de ces repères habituels pour contourner les derniers obstacles et contenir l'émotion qui l'envahit. Un corps amaigri -je pèse alors seulement 39 kilos. Il a perdu, au fil des kilomètres, toute sa puissance et se présente face à l'Antarctique, plus humble que jamais, pour une ultime confrontation.  

"Déchausser une dernière fois les skis"

L'esprit peine à se concentrer et se laisse envahir par les souvenirs intacts d'une expédition qui touche à sa fin: le départ de France, il y a trois mois déjà, avec le risque de ne jamais revenir, une fièvre tenace durant les premiers jours d'expédition, une dent qui se brise et réveille une douleur lancinante, incessante, le vent qui me repousse toujours, la vision de celui qu'on aime tiraillé par la faim, les vagues de glace affûtées comme des lames déferlantes, la joie d'être au pôle Sud le jour de Noël, l'équipement vidéo à tracter à la seule force des bras et des jambes pour monter un film au retour, l'inconfort du corps qui transpire et des vêtements qui gèlent, le marathon que je dois effectuer chaque jour en fin d'expédition pour terminer la traversée avant que la nuit polaire s'installe, le brouillard blanc ininterrompu au cours des deux dernières semaines et les batteries qui se vident sans possibilité d'utiliser les panneaux solaires pour les recharger. Autant d'images qui s'impriment, m'accompagnent et me portent même au-delà des limites du continent. 

"Le GPS qui affiche les derniers kilomètres, le dernier kilomètre. Et puis déchausser une dernière fois les skis. Les regards qui se croisent, en silence."

"Le GPS qui affiche les derniers kilomètres, le dernier kilomètre. Et puis déchausser une dernière fois les skis. Les regards qui se croisent, en silence."

Stéphanie et Jérémie Gicquel

Alors c'est avec beaucoup d'émotion que je skie, ce jour là, pendant plus de seize heures. Contourner les crevasses et continuer à aller de l'avant. Le regard qui fuit, qui cherche quelques ultimes repères et le corps qui poursuit son effort sans relâche, mécaniquement. Le GPS qui affiche les derniers kilomètres, le dernier kilomètre. Et puis déchausser une dernière fois les skis. Les regards qui se croisent, en silence. Une étreinte et des pensées qui se bousculent. Le temps qui s'arrête, le temps de l'expédition. Savourer ce moment comme tous les autres. Plus que les autres. Il est 3h35 du matin, le 27 janvier. La mer de Weddell est sous mes pieds. J'ai traversé l'Antarctique à ski.  

"La neige et le vent ont balayé mes traces "

Pourquoi se lancer dans une telle aventure? 2045 kilomètres n'auront pas suffi pour trouver toutes les réponses. Mais les émotions ressenties en Antarctique sont telles qu'il n'y aura jamais de regret -comment aurais-je pu, ailleurs, vivre plus intensément? La seule limite à nos objectifs est celle que nous leur donnons. Le reste n'est qu'une excuse. Un mensonge peut-être. Ou une peur. Il est toujours temps de vivre sa vie. 

La neige et le vent ont depuis longtemps balayé mes traces éphémères en Antarctique. Le souvenir d'un rêve réalisé, lui, ne s'efface jamais. Au-delà des kilomètres parcourus sur ce continent, l'expédition Across Antartica aura permis de collecter plus de 10 000 euros au profit de l'Association Petits Princes, qui réalise les rêves d'enfants malades.  

Cela fait aujourd'hui un peu plus d'un an que j'ai effectué la plus longue expédition réalisée à ce jour en Antarctique par une femme, sans voile de traction (qui figure dans le Guinness World Records). L'intérêt suscité par cette expédition, dans le milieu de l'aventure notamment, et les lectures des récits d'expéditions d'autres explorateurs polaires m'ont fait prendre conscience progressivement du défi ainsi relevé. 

Stéphanie et Jérémie Gicquel organisent régulièrement des expositions de photographies prises au cours de l'expédition, et labellisées COP 21 par le ministère de l'Ecologie, afin de sensibiliser le grand public à la connaissance de l'Antarctique.

Stéphanie et Jérémie Gicquel organisent régulièrement des expositions de photographies prises au cours de l'expédition, et labellisées COP 21 par le ministère de l'Ecologie, afin de sensibiliser le grand public à la connaissance de l'Antarctique.

Stéphanie et Jérémie Gicquel

Je suis régulièrement contactée par d'autres aventuriers du monde entier qui ont pour objectif de réaliser de nouveaux défis en Antarctique, et qui ont besoin de connaître la réalité du terrain. La réalité d'un continent dont la géographie, l'histoire, le climat, l'économie, ou encore la géopolitique sont malheureusement très -trop- peu connus. Je les accompagne, autant que je peux, pour qu'un jour, peut-être, l'un d'eux se lance dans une traversée de plus de 2000 kilomètres via le pôle Sud à ski sans voile de traction et sans ravitaillement, ce qui n'a pour l'instant encore jamais été fait.  

"L'homme est né pour se dépasser"

L'Antarctique est une terre empreinte de gravité. La difficulté et les risques d'une longue expédition sur ce continent sont souvent sous-estimés. J'ai toujours gardé à l'esprit, pour ma part, les mots de Reinhold Messner au sujet de sa traversée de l'Antarctique en kite-ski en 1989: "C'est un moment de ma vie, comme à l'Everest ou au K2. La différence est qu'ici tout dure plus longtemps. Beaucoup, beaucoup plus longtemps. Nous sommes encore plus engagés ici (...) Les jours et les semaines que j'ai passés dans la nature sauvage et froide, la faim au ventre, sont ceux qui m'ont le plus marqué." Et j'ai pu mesurer combien l'effort requis n'est en rien comparable avec les efforts fournis lors des compétitions de course à pied sur longue distance -150 à 200 km- auxquelles j'ai participé.  

Après plusieurs jours de progression à pied dans un environnement hostile, le corps dénutri et déshydraté semble progressivement être anesthésié. Il est possible alors d'aller trop loin, sans plus s'en apercevoir. C'est malheureusement ce qui est arrivé en début d'année à Henry Worsley, un explorateur britannique qui tentait une traversée de l'Antarctique sans ravitaillement sur 1680 kilomètres, et qui est décédé avant d'atteindre son objectif. Est-il possible de se préparer totalement à une épreuve physique aussi intense et de s'adapter à des conditions aussi extrêmes? Peut-être pas. 

Mais les rares expéditions réalisées en Antarctique depuis le début du 20ème siècle, et dont la liste est établie par les organismes de référence ExplorersWeb et AdventureStats, sont riches d'enseignements sur la capacité de l'homme à repousser toujours plus ses propres limites. 

C'est cela aussi que je cherche à partager lorsque j'ai l'opportunité d'intervenir auprès du public, en entreprise, et encore plus auprès des jeunes: le dépassement de soi. Transmettre le goût de l'effort et de l'audace. L'homme est né pour se dépasser. J'ai osé croire que traverser l'Antarctique en ski était possible pour que cela le devienne. Non sans difficulté, loin de là.  

Tous ceux qui ont voulu un jour faire bouger les lignes et qui ont quitté leur zone de confort ont pu mesurer les obstacles nombreux qui se dressent alors. Et croiser aussi sur leur route ceux qui essayent de réduire l'ambition des autres et qui, au fond, ne révèlent ainsi que le reflet de leur propre histoire, de leur propre peur. Il faut en avoir conscience, l'accepter, le surmonter pour s'affranchir de la norme, acquérir une indépendance d'esprit et d'action. Apprendre à aimer la réussite, pour pouvoir s'en inspirer et progresser. Et puis alors, être heureux, tout simplement.  

Stéphanie et Jérémie Gicquel sont avocats, aventuriers, mariés et auteurs de Expedition Across Antarctica (2015, aux éditions Vilo). Vous pouvez les retrouver sur leur site Runningtothepole.com. 

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